Aussi discret qu’acclamé, aussi populaire qu’expérimental, Radiohead est un groupe emblématique de la scène pop-rock. Après 30 millions d’albums vendus à travers le monde, tout semble déjà avoir été dit sur Thom Yorke et ses camarades.
Le Monde Selon Radiohead part pourtant explorer la face cachée de leur oeuvre : les problématiques existentielles et politiques qui nourrissent leur discographie. Alors, qu’y a-t-il dans la tête de Radiohead ?
Depuis leur rencontre sur les bancs de l’école jusqu’aux succès phénoménaux de Creep ou OK Computer , leur oeuvre est témoin de trois décennies agitées de perpétuels bouleversements. Des années 80 qui les ont vus grandir dans l’angoisse d’un monde pris en étau entre deux puissances hégémoniques, jusqu’à la fin des années 2000 et le péril climatique, ces trente années ont vu le néolibéralisme et le consumérisme se généraliser en Occident. Internet s’est banalisé, et la technologie est devenue une extension de soi.
Benjamin Clavel, le réalisateur du Monde selon Radiohead rencontre tour-à-tour biographe, philosophe, écrivain, musicologue ou compositeur, tel que Steve Reich, l’un des pionniers de la musique minimaliste, pour décrypter l’engagement au-delà de l’oeuvre. Retraçant l’ascension du groupe britannique, le documentaire se détache de leur biographie pour mieux établir le parallèle avec leur époque.
Ainsi Kid A et sa satire de Tony Blair à Hail to the Thief et sa critique de George W. Bush, en passant par son ambivalente relation à la technologie dans OK Computer , Radiohead a toujours été à la fois inscrit dans son temps, et porteur de messages critiques qui restent perpétuellement d’actualité, sur l’hypersurveillance, la perte de sens de l’individu ou la manipulation du langage par exemple… Benjamin Clavel souhaite ainsi « ne pas faire un énième documentaire musical sur le groupe mais parler des thèmes profonds et cruellement actuels qui innervent leur œuvre. Montrer Radiohead sous un jour inédit et fidèle à leurs idéaux ». Fervents admirateurs de Noam Chomsky, ou de Naomi Klein et son ouvrage No Logo , de J.G. Ballard ou encore George Orwell, les cinq Britanniques sont des citoyens du monde avant tout. Leurs chansons ne sont pas celles d’artistes engagés, mais revêtent les traits d’un militantisme allégorique. Thom Yorke a clairement écrit certaines paroles pour éveiller les consciences. Leur public est invité à « parler des faits » et à « devenir les sujets actifs de leur propre vie ».
Dans une recherche formelle singulière, le film crée des analogies visuelles et sonores qui s’entremêlent, s’entrechoquent et se répondent : une rame de métro bondée de New York renvoie aux paroles ironiques de Fitter Happier , la rage de Cobain rejoint celle de Yorke dans un montage parallèle fracassant,un homme en plein Los Angeles nocturne poursuivi par une voiture trouve un écho dans le clip de Karma Police , ou encore une parodie de notice de sécurité sur fond de crash d’avion… Autant de passerelles formelles qui amènent un sens supplémentaire et permettent de mieux saisir l’état d’esprit de Radiohead à chaque période de leur carrière. Le tout dans une esthétique unifiée, cohérente, et une ironie très fidèle au groupe d’Oxford.
Le Monde selon Radiohead est une plongée dans la philosophie de ce groupe culte, lucide sur lui-même et sur le monde qui l’entoure. Et révèle ainsi comment il a toujours été animé par une seule règle : ne pas finir comme un « cochon en cage sous antibiotiques » !