Figure emblématique du journalisme français, homme de lettres et de médias aux mille talents, Philippe Labro s’est éteint ce mercredi 4 juin 2025 à Paris, des suites d’un cancer. À 88 ans, l’ancien patron de RTL, écrivain à succès et cofondateur de Direct 8, laisse derrière lui une œuvre considérable qui a marqué plusieurs générations.
Un battant à l’américaine qui incarnait l’excellence française
Philippe Labro est mort à 88 ans, a annoncé mercredi son ancienne radio RTL, dont il fut un pilier pendant quinze ans. Cette grande figure française était multicartes: journaliste, écrivain, scénariste, cinéaste, parolier, homme de radio et de télévision.
Avec ses yeux bleus, son visage carré et sa mise toujours impeccable, Philippe Labro incarnait l’image d’un battant à l’américaine. Mais derrière cette apparence policée se cachait un homme habité par l’inquiétude et l’insatisfaction, comme il l’avait lui-même confié. Cette dualité entre l’assurance affichée et la quête perpuelle de dépassement était sans doute l’une des clés de son succès.
Les premières années qui ont tout changé
Né le 27 août 1936 à Montauban (Tarn-et-Garonne), Philippe Labro grandit dans une famille aux valeurs humanistes. Ses parents, Jean-François et Henriette Labro, donnent naissance à quatre garçons et trois filles. Son père vient de Montauban à Paris dans les années 1920 pour ouvrir un cabinet de conseil juridique et fiscal.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, la famille revient à Montauban. Un épisode marquant de l’histoire familiale : bien qu’un officier SS de la division Das Reich ait réquisitionné le premier étage de leur maison pour s’y loger, ses parents y cachent des Juifs, notamment la famille de Maurice Bernart. Le 13 août 2000, le mémorial de Yad Vashem décerne à Jean-François et Henriette Labro le titre de Justes parmi les nations.
L’Amérique comme révélation
Le jeune Philippe montre déjà un goût précoce pour l’écriture. À 15 ans, celui-ci remporte un concours de journalisme parrainé par Le Figaro et devient rédacteur en chef du Journal des jeunes. Mais c’est l’aventure américaine qui va véritablement forger sa personnalité.
En 1954, alors qu’il a raté son baccalauréat et doit redoubler, il obtient, à 18 ans, une bourse Zellidja qui lui permet d’étudier à l’université Washington et Lee de Lexington en Virginie. Cette expérience de deux ans aux États-Unis marquera toute sa vie et son œuvre. Il en reviendra avec un style vestimentaire typiquement américain et une vision du monde qui imprègnera ses romans les plus célèbres.
Les débuts d’une carrière exceptionnelle
De retour en France, Philippe Labro démarre sa carrière en 1957 comme reporter à Europe 1. Il a commencé sa carrière dans les années 1950 à la radio, chez Europe 1, et en presse écrite, à Marie-France puis à France-Soir. Il collabore en parallèle au magazine télévisé « Cinq colonnes à la Une » (1960-64).
Son parcours journalistique prend une dimension historique quand il couvre l’assassinat de John F. Kennedy le 22 novembre 1963. Alors qu’il enregistre un sujet sur le campus de l’université Yale pour 5 colonnes à la une, il apprend l’assassinat de John F. Kennedy le 22 novembre 1963, événement qu’il couvre pour son journal France-Soir pendant trois ans et qu’il relate dans son récit « On a tiré sur le Président ». Il sera d’ailleurs auditionné par la commission Warren.
Le patron qui a révolutionné RTL
L’époque RTL restera sans doute l’une des plus brillantes de la carrière de Philippe Labro. « Philippe Labro a été pendant quinze ans consécutifs le patron de RTL aux côtés de Jacques Rigaud. Il en a été le directeur des programmes – c’était un homme de programmes, de contenu avant tout – et il en a été aussi le vice-président aux côtés de Jacques Rigaud« , a-t-il précisé, saluant les « grandes années » de RTL entre 1985 et 2000, pendant lesquelles cet homme de médias a « porté » la radio.
De 1985 à 2000, il dirige les programmes de RTL, devient vice-président de la station en 1992, vice-PDG d’Ediradio (RTL) en 1996 sur proposition de son président Jacques Rigaud et vice-président du Conseil d’administration en mars 2000.
Cette période correspond à l’âge d’or de la station, quand RTL dominait l’audience et influençait l’opinion publique française. Philippe Labro y imposait sa vision éditoriale et son exigence de qualité.
L’écrivain qui a su toucher le public
Parallèlement à sa carrière de journaliste, Philippe Labro développe une œuvre littéraire remarquable. Après « Un Américain peu tranquille » (1959) et « Des feux mal éteints » (1967), un roman autobiographique remarqué sur la guerre d’Algérie, il publie « L’Etudiant étranger » qui remporte un grand succès commercial et obtient le prix Interallié 1986.
« L’Étudiant étranger » raconte le choc de sa découverte de l’Amérique, mêlant fiction et souvenirs personnels. Le livre devient un phénomène éditorial et établit définitivement sa réputation d’écrivain. La réussite se répètera notamment avec « Quinze ans » (1992), récit d’un garçon qui grandit dans le Paris des années 1950, puis avec « Un début à Paris » (1994) qui raconte son apprentissage de journaliste.
Le livre qui a bouleversé sa vision de la vie
En 1996, Philippe Labro publie « La Traversée », un ouvrage d’une nature très différente. Il avait signé en 1996 le livre « La Traversée », inspiré par son expérience de mort imminente consécutive à un œdème du larynx et à une pneumopathie foudroyante qui le laissa six semaines à l’hôpital Cochin, dont dix jours dans le service de réanimation.
Dans ce témoignage saisissant, Philippe Labro raconte son passage aux portes de la mort et ses expériences de mort imminente. Le livre révèle un homme transformé par cette épreuve, qui trouve dans cette traversée une nouvelle profondeur spirituelle et humaine.
Le parolier de Johnny Hallyday
Philippe Labro ne se contente pas d’être journaliste et écrivain. Premier auteur à écrire tout un album pour Johnny Hallyday, Philippe Labro s’inscrit parmi les paroliers emblématiques du chanteur. En 1970 et 1971, sa collaboration avec Johnny Hallyday, pour qui il écrit plusieurs chansons, est remarquée. Labro est le premier à écrire les textes d’un album entier pour Hallyday.
Parmi ses créations les plus célèbres figurent « Oh ! Ma jolie Sarah » et « Mon Amérique à moi ». Tour à tour engagés, politiques, contestataires, ses textes, le plus souvent empreints de sociétals, marquent un tournant dans la carrière du chanteur et s’inscrivent durablement comme occupant une place à part dans son œuvre.
Cette collaboration artistique dépasse le simple travail professionnel. Philippe Labro et Johnny Hallyday partagent cette même fascination pour l’Amérique et développent une amitié durable.
Le cinéaste aux ambitions hollywoodiennes
Dans les années 1960-1970, Philippe Labro se lance dans la réalisation cinématographique. Il tourne plusieurs films inspirés par le polar américain, dont « Tout peut arriver » (1969), « Sans mobile apparent » (1971), « L’Héritier » (1972), ou encore « Rive droite, rive gauche » (1984).
Si ses films n’obtiennent pas tous le succès escompté, ils témoignent de sa volonté constante d’explorer de nouveaux territoires créatifs. Cette expérience cinématographique enrichit sa palette artistique et nourrit son regard de journaliste.
L’aventure Direct 8 et l’ère C8
En 2005, à près de 70 ans, Philippe Labro se lance dans un nouveau défi. Il donne le coup d’envoi, le 31 mars 2005, de la chaîne Direct 8 aux côtés de l’actionnaire Vincent Bolloré. Cette aventure télévisuelle illustre parfaitement son esprit pionnier et sa capacité à se réinventer.
Il a exercé sur cette antenne, renommée C8 en 2016, jusqu’à sa fermeture en février 2025. Il présentait chaque dimanche l’émission littéraire « L’essentiel chez Labro ». Cette émission culturelle, diffusée le dimanche soir, devient rapidement un rendez-vous incontournable pour les amoureux de littérature et de cinéma.
« L’Essentiel chez Labro », un héritage culturel
L’émission « L’Essentiel chez Labro » représentait parfaitement la vision culturelle de Philippe Labro. « L’essentiel chez Labro », c’est un magazine tourné vers la Culture avec un grand C, balayant tous les domaines allant du cinéma, à la musique, à la littérature, au théâtre en passant par les expositions, la BD, les jeux vidéo… Tout ce qui est, en fait, considéré comme « non-essentiel », mais qui pourtant, l’est terriblement et qui constitue le sel de nos vies !
Le 25 février 2025, il anime sur C8 la dernière de l’émission « L’Essentiel chez Labro » à la suite du non renouvellement de la chaine par l’ARCOM, et met fin à sa carrière télévisuelle. Quelques mois seulement avant sa mort, Philippe Labro bouclait ainsi une carrière télévisuelle de près de vingt ans.
Un homme aux multiples récompenses
La carrière exceptionnelle de Philippe Labro a été reconnue par de nombreuses distinctions. Philippe Labro est fait officier de l’ordre national de la Légion d’honneur le 8 janvier 2002 puis promu au grade de commandeur le 2 avril 2010. Il est fait commandeur le 7 octobre 2010. Le 15 janvier 2025, il est élevé à la dignité de grand officier.
Cette dernière promotion, intervenue quelques mois avant sa mort, couronne une vie entière au service de la culture et du journalisme français.
Les derniers mois et le combat contre la maladie
Philippe Labro menait une bataille contre le cancer qui vient malheureusement de se terminer. Jusqu’au bout, il aura gardé sa discrétion sur cette épreuve, préférant se consacrer à son travail et à sa passion pour la culture.
Il meurt le 4 juin 2025 à Paris à l’âge de 88 ans, des suites d’un cancer. Il laisse derrière lui son épouse Françoise Labro, journaliste et scénariste, et ses quatre enfants.
Un héritage considérable qui traverse les générations
L’œuvre de Philippe Labro dépasse largement le cadre de sa carrière. « C’est une immense figure de RTL qui disparaît et notre maison, ce matin, est traversée par une très grande émotion », a déclaré à l’antenne, Hervé Beroud, directeur de l’information du groupe M6-RTL.
Homme de communication éclectique, Philippe Labro aura marqué son époque par sa curiosité insatiable et sa capacité à exceller dans des domaines très différents. Du journalisme à la littérature, de la chanson au cinéma, en passant par la télévision et la radio, il incarnait cette figure rare de l’intellectuel français complet.
L’influence d’une génération sur les suivantes
Philippe Labro laisse derrière lui une œuvre qui continue d’inspirer journalistes, écrivains et créateurs. Ses livres, notamment « L’Étudiant étranger » et « La Traversée », restent des références pour comprendre l’évolution de la société française et la quête de sens d’une génération.
Son approche du journalisme, fondée sur l’exigence et la qualité, a formé de nombreux professionnels qui perpétuent aujourd’hui son héritage dans les rédactions françaises.
À retenir
Philippe Labro (1936-2025) restera comme l’une des figures les plus complètes du paysage culturel français. Journaliste d’exception, écrivain à succès, parolier de talent et pionnier de la télévision, il aura traversé plus de soixante ans de vie publique en laissant sa marque dans chaque domaine qu’il a exploré. Sa disparition marque la fin d’une époque où les intellectuels français savaient encore être à la fois populaires et exigeants.