Deux semaines après la polémique déclenchée par les propos de Thierry Ardisson dans « Quelle époque ! », Léa Salamé a pris la parole ce samedi 24 mai pour revenir sur l’affaire qui a fait grand bruit. Un épisode qui révèle un passage polémique sur le plateau de France 2.
Le 10 mai 2025, Thierry Ardisson était invité dans l’émission « Quelle époque ! » présentée par Léa Salamé sur France 2. Venu pour promouvoir son livre « L’homme en noir », l’animateur n’imaginait pas déclencher une telle tempête.
Raphaël Pitti, médecin humanitaire français spécialisé dans les zones de guerre, témoignait sur la situation à Gaza. Le médecin avait dressé un tableau dramatique : « Les images que nous avons de ces enfants totalement dénutris, ce sont des images inacceptables — c’est ce qu’on a vu pendant la dernière guerre, c’est ce qu’on a vu dans les camps de concentration ».
C’est alors que Thierry Ardisson a franchi la ligne rouge. « Gaza, c’est Auschwitz, voilà, c’est tout ce qu’il y a à dire », a-t-il déclaré, ajoutant : « Nos petits-enfants nous diront que nous savions et que nous n’avons rien fait ».
L’explosion immédiate sur les réseaux
La séquence diffusée samedi soir a immédiatement mis le feu aux réseaux sociaux. Le président du CRIF, Yonathan Arfi, a réagi fermement : « Non, Thierry Ardisson, Gaza n’est pas Auschwitz ! La vérité est simple : la Mémoire de la Shoah n’est jamais autant convoquée dans le débat public que par ceux qui veulent la retourner contre les Juifs ».
La Licra a également condamné « une nouvelle fois la banalisation des comparaisons outrancières et le confusionnisme ambiant. Le nazisme et la Shoah ne sont pas l’alpha et l’oméga de toutes les crises nationales et internationales ».
Les excuses d’Ardisson et ses révélations
Dès le lendemain, Thierry Ardisson a publié un communiqué d’excuses : « L’émotion était sans doute trop forte et mon propos exagéré. Je prie mes amis juifs de bien vouloir me pardonner ».
Mais l’animateur ne s’est pas arrêté là. Invité dans « Les Grandes Gueules » sur RMC, il a révélé les coulisses de l’émission : « À la fin de l’émission, on se réunit tous, on discute de ce qu’on garde. Là, j’ai dit : ‘J’ai dit une connerie, tu devrais le couper’. Personne n’a relevé. Ni la production, ni les équipes de France Télévisions ».
Thierry Ardisson s’en est pris directement à Léa Salamé : « Léa Salamé nous a présenté ce Dr Pitti comme Mère Teresa sans en dire plus. Elle ne nous a pas dit que c’était quelqu’un de politique qui s’était présenté sous la bannière du Front Populaire, pour le parti Place Publique ».
Raphaël Pitti est effectivement candidat Place publique (le parti de Raphaël Glucksmann, compagnon de Léa Salamé) sur la liste du Nouveau Front populaire aux législatives de 2024. Un détail qui n’avait pas été précisé à l’antenne.
La prise de parole de Léa Salamé suite à la polémique
Ce samedi 24 mai, lors de son retour à l’antenne après une semaine d’absence (l’émission avait été déprogrammée pour l’Eurovision), Léa Salamé a pris la parole sur l’affaire. Dans un long monologue en ouverture d’émission, elle a reconnu que l’équipe aurait dû « être vigilante et anticiper que cette séquence pourrait être isolée, sortie de son contexte et diffusée sur les réseaux sociaux ». « Cette séquence, nous aurions dû la couper », a admis la journaliste, tout en défendant le travail éditorial de son émission sur la lutte contre l’antisémitisme et la mémoire de la Shoah.
Voici le texte intégrale de sa prise de parole : « Je tenais à revenir sur ce qui s’est passé lors de la dernière émission qui a suscité énormément de réactions, ce moment donc où nous évoquions la situation dramatique à Gaza avec le médecin humanitaire Raphaël Pitti et où Thierry Ardisson a comparé Gaza à Auschwitz. Thierry Ardisson s’est excusé le lendemain disant avoir parlé sous le coup de l’émotion, mais je sais que cette séquence a choqué. Je sais qu’elle a blessé des gens, notamment des enfants et des petits-enfants de rescapés d’Auschwitz, et cela me mortifie. Cela me mortifie parce que je rejette toute banalisation de l’abomination ultime que fut la Shoah, l’extermination des Juifs d’Europe et je n’ai cessé ici et dans tout mon parcours de journaliste, de parler, de rappeler le mal absolu que fut le génocide nazi et de faire témoigner les derniers rescapés. Encore, ici même, en janvier dernier, lorsque nous avons reçu, et c’était un moment bouleversant, Ginette Kolinka et Esther Senot pour commémorer les 80 ans de la libération du camp d’Auschwitz.
Nous avons par ailleurs consacré de très nombreuses émissions au massacre du 7 octobre, aux attaques terroristes abjectes du Hamas, au sort des otages et à la montée effrayante de l’antisémitisme en France. Alors cette séquence, nous aurions dû être vigilants et anticiper qu’elle pourrait être isolée, sortie de son contexte et diffusée sur les réseaux sociaux, qu’en 2025, on peut diffuser hors contexte 20 secondes d’une émission de 2h30 sans rappeler ce qui s’est dit avant et ce qui s’est dit après. Et ce que Thierry Ardisson a dit dans cette même émission quelques minutes auparavant, c’était une dénonciation sans appel de la montée de l’antisémitisme en France, faisant aussi, là, une comparaison historique radicale pour alerter que la situation des Juifs de France aujourd’hui serait la même qu’à Berlin en 1930. »
Rediffusion de ce qu’avait dit Thierry Ardisson dans quelle époque! : « On est dans un pays où le député Jérôme Guedj se fait jeter d’une manifestation sous prétexte qu’il est juif. Enfin, je veux dire, on est à Berlin en 1930. Moi, j’étais un des premiers à le dénoncer dans Salut les Terriens, l’époque où les Juifs n’osaient pas sortir de chez eux, mais vous vous rendez compte où on est ? Enfin, je veux dire, c’est incroyable. Moi, quand j’ai viré Dieudonné, donc c’était en 2004, je l’ai viré en direct de mon plateau... Moi mes parents n’ont jamais vendu du beurre aux Allemands. Mais je veux dire, moi l’attitude de la France pendant la guerre de 40, mais moi j’en ai honte. Ça voilà un truc dont j’ai honte.
Léa salamé reprend la parole sur le plateau ce samedi 24 mai : « Et ce n’est pas tout, quelques secondes seulement après avoir fait la comparaison entre Gaza et Auschwitz, voilà ce que dit Thierry Ardisson également. »
Thierry Ardisson : « Ce qu’il faut dire pour finir, à mon sens, c’est que pendant la guerre, on nous dit, on savait pas. Bon, en fait, ils savaient, parce qu’ils survolaient les camps de concentration, ils savaient bien qu’il y avait des camps. Maintenant, la théorie américaine, c’était : on va d’abord libérer l’Europe, après on s’occupera des camps. On va pas s’occuper que des camps tout de suite, voilà. Même le pape, je pense, tout catholique que je sois, même Pie XII était au courant, enfin je veux dire, bon. Mais là, on est exactement dans la même situation. On nous dira, mais vous le saviez. C’est ça qui est fou. »
Léa Salamé : « Alors, on comprend quand on a écouté l’intégralité de ses propos que Thierry Ardisson laisse éclater son émotion et son indignation à la fois devant la souffrance des Juifs de France comme quelques minutes plus tard devant la souffrance des civils de Gaza et qu’en aucun cas en fait, il voulait banaliser la Shoah mais comparer le regard ou l’indifférence qu’on peut avoir face à l’histoire.
Mais dans cette séquence de 20 secondes coupée et diffusée sur les réseaux sociaux, on peut laisser croire qu’on la banalise, qu’on banalise la Shoah. Et rien que pour ça, eh bien nous aurions dû la couper. Mais ce que nous regrettons aussi, c’est que cette polémique est éclipsée le sujet premier qui était de parler de la situation dramatique à Gaza, des milliers de morts et des enfants qui ont faim. Je vous le dis tout net, être accusé de complaisance à l’égard du Hamas ou de l’antisémitisme quand on produit une parole forte sur Gaza, ça ne marche pas, pas ici, pas avec moi.
Toute ma vie, tout ce que je suis, mes origines, l’histoire de ma famille, du génocide arménien dans ma famille maternelle aux guerres du Proche-Orient de mon enfance, région où je suis née, toute ma vie, je me suis battue contre les haines entre les peuples et entre les religions, pour la paix, pour une France aussi où chrétiens, musulmans, juifs, athées peuvent encore se parler et même s’aimer, car je sais le prix personnel et collectif de ces guerres. Je suis le produit de cette histoire-là, tourmentée et tragique, et je continuerai toute ma vie à essayer de faire entendre une voix de paix et d’apaisement. C’est mon combat. »