Le tribunal correctionnel de Paris examine depuis ce mercredi une affaire emblématique de la lutte contre les discours de haine en France. Treize membres du groupuscule d’extrême droite « Les Natifs » sont poursuivis pour avoir orchestré une campagne raciste contre la chanteuse franco-malienne Aya Nakamura, dans le contexte de sa participation aux Jeux olympiques de Paris 2024.
Les 5 informations clés de l’affaire :
- Treize militants du groupe « Les Natifs » comparaissent pour provocation à la haine raciale contre Aya Nakamura
- L’incident déclencheur remonte au 9 mars 2024 avec une banderole raciste déployée à Paris
- L’affaire s’inscrit dans une hausse alarmante de 80% des crimes de haine en France entre 2020 et 2024
- Aya Nakamura a finalement participé avec succès à la cérémonie des JO devant 31,4 millions de téléspectateurs
- Le procès teste la capacité de la justice française à sanctionner efficacement les discours racistes
Une campagne de haine organisée contre une artiste de renommée mondiale
L’ouverture de ce procès marque un tournant dans la lutte judiciaire contre le racisme en France. Les faits remontent au 9 mars 2024, lorsque le magazine L’Express évoque la possible participation d’Aya Nakamura à la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris 2024. Quelques heures après cette publication, le groupuscule « Les Natifs » organise une action provocatrice sur l’île Saint-Louis.
La banderole déployée portait le message : « Y a pas moyen Aya, ici c’est Paris, pas le marché de Bamako ». Ce slogan, détournement raciste du titre « Djadja » de la chanteuse, faisait explicitement référence à Bamako, ville de naissance d’Aya Nakamura au Mali. L’action s’accompagnait de commentaires déplorant de « remplacer l’élégance française par la vulgarité » et d’« africaniser nos chansons populaires ».
Aya Nakamura, de son vrai nom Aya Danioko, née le 10 mai 1995 à Bamako, représente pourtant un succès français à l’international. Arrivée en France durant son enfance et ayant grandi à Aulnay-sous-Bois, elle est devenue la chanteuse francophone la plus écoutée dans le monde avec plus de 20 millions d’auditeurs mensuels sur Spotify.

Les accusés : un réseau structuré d’extrême droite
Les treize prévenus appartiennent tous au groupuscule « Les Natifs », créé en 2021 comme successeur de Génération identitaire, dissous par le gouvernement la même année. Ce groupe revendique une soixantaine de membres majoritairement masculins et défend ouvertement la théorie du « grand remplacement ».
Parmi les figures centrales poursuivies figurent Édouard M., 28 ans, cadre financier présenté comme le chef du groupuscule, et Antoine G., 27 ans, juriste et porte-parole officiel. L’enquête révèle des profils troublants, notamment Capucine C., 22 ans, collaboratrice parlementaire de trois députés du Rassemblement national jusqu’en mars 2025.
Marine de C., 24 ans, sœur cadette du fondateur du groupuscule d’ultradroite « les Zouaves de Paris » (dissous en janvier 2022), fait également partie des prévenus. Le groupe prône la « remigration », concept visant à expulser les populations d’origine arabo-musulmane vers leurs « aires civilisationnelles ».
Leurs actions passées incluent la perturbation de lectures de contes par des drag queens, le déploiement de banderoles anti-immigration devant l’Assemblée nationale, ou la couverture de draps noirs sur des portraits de femmes voilées dans la basilique Saint-Denis.
Un cadre juridique renforcé contre les discours de haine
Les accusations s’appuient sur l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, modifiée par la loi Pleven de 1972. Cette législation punit d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence en raison de l’origine ethnique ou religieuse.
L’enquête a été menée par l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité et les crimes de haine (OCLCH), unité spécialisée créée en 2013. L’ouverture de l’enquête fait suite aux signalements déposés le 13 mars 2024 par la LICRA et SOS-Racisme. Aya Nakamura a elle-même déposé plainte le 20 mars 2024.
Lors de l’audience du 4 juin 2025 devant la 17e chambre correctionnelle, seuls trois des treize prévenus étaient physiquement présents. Aya Nakamura a choisi de ne pas assister au procès, probablement pour ne pas alimenter davantage une polémique qu’elle a largement subie.
Un contexte national alarmant
Cette affaire s’inscrit dans une progression inquiétante des crimes de haine en France. Les statistiques du ministère de l’Intérieur révèlent une augmentation de plus de 80% entre 2020 et 2024 : de 6 740 infractions à 12 200. L’année 2023 a marqué une hausse de 32% par rapport à 2022.
Les injures, diffamations et provocations à la haine représentent 76% de l’ensemble des infractions à caractère haineux en 2024. Cette tendance souligne l’amplification des discours de haine, particulièrement sur les réseaux sociaux, où les groupuscules d’extrême droite trouvent une caisse de résonance.
En 2022, les condamnations pour provocation à la haine raciale affichaient un taux d’emprisonnement de 54%, illustrant la volonté des tribunaux de sanctionner fermement ces comportements tout en maintenant des sanctions proportionnées.

Une réponse artistique face aux attaques
Malgré cette campagne de haine, Aya Nakamura a finalement participé à la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques le 26 juillet 2024. Sa prestation sur le Pont des Arts en compagnie de la Garde républicaine a attiré un pic d’audience de 31,4 millions de téléspectateurs, établissant un record historique pour la télévision française.
Son interprétation mélangeant ses propres succès avec des classiques de Charles Aznavour comme « For me formidable » a été saluée comme un moment de réconciliation entre tradition et modernité. La chanteuse avait déclaré lors d’un live sur TikTok : « Je ne m’y attendais pas du tout. J’étais chokbar ».
Thomas Jolly, directeur artistique de la cérémonie, s’était dit « profondément choqué par le racisme dont est victime Aya Nakamura » et avait promis que « les cérémonies s’élèveront contre toute forme de discrimination ». De nombreux artistes et personnalités publiques avaient également apporté leur soutien à la chanteuse.
Des enjeux qui dépassent le cadre judiciaire
Ce procès revêt une importance particulière dans le contexte français actuel, où les questions de liberté d’expression et de lutte contre la haine raciale suscitent des débats intenses. L’affaire met en lumière les défis pour équilibrer la protection de la liberté d’expression, garantie par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme, et la nécessité de lutter contre les discours de haine.
L’affaire soulève également des questions sur la représentation dans l’espace public français. Aya Nakamura, symbole de la réussite culturelle française à l’international, incarne les tensions contemporaines autour de l’identité nationale. Son succès mondial contraste avec les rejets identitaires dont elle fait l’objet de la part de certains groupes d’extrême droite.
Le verdict, attendu dans les prochaines semaines, constituera un indicateur important de la capacité de la justice française à répondre aux défis contemporains du racisme et de la xénophobie. L’issue de ce procès sera scrutée pour le message qu’elle enverra concernant la détermination judiciaire à protéger les citoyens contre les discriminations.
Cette affaire rappelle l’urgence de protéger les artistes et citoyens français d’origine étrangère contre les campagnes de haine, tout en préservant les valeurs de diversité et d’inclusion qui caractérisent la République française. Le procès des « Natifs » constitue ainsi un test crucial pour l’efficacité du système judiciaire dans la lutte contre les discours de haine à l’ère des réseaux sociaux.
Sources :
- Statistiques crimes de haine – Ministère de l’Intérieur
- Cadre juridique anti-discrimination
- Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme
- SOS Racisme
- Office central de lutte contre les crimes de haine
- Convention européenne des droits de l’Homme