La chanteuse et comédienne Nicole Croisille est décédée mercredi 4 juin 2025 à Paris, des suites d’une longue maladie. Avec elle disparaît l’une des voix les plus reconnaissables de la chanson française, celle qui a fait résonner le fameux « Chabadabada » d’Un homme et une femme dans le monde entier.
Une disparition qui bouleverse Claude Lelouch
L’annonce du décès a été faite par Jacques Metges, l’agent de l’artiste, qui précise qu’elle s’est battue « jusqu’au bout avec beaucoup de force et de courage ». Cette disparition touche particulièrement Claude Lelouch, le réalisateur qui a révélé Nicole Croisille au grand public.
Sur Instagram, le cinéaste lui rend un hommage bouleversant : « Sa voix, si singulière, a été le souffle de mes films, la musique de mes émotions. Ensemble, nous avons créé des instants d’éternité. Son timbre unique donnait vie aux images, transformant chaque séquence en un moment de grâce. » Il ajoute avec émotion : « Elle a été la voix de ma vie. »
Le « Chabadabada » qui a tout changé
Tout démarre en 1966 quand Nicole Croisille rencontre Claude Lelouch qui termine le tournage d’Un homme et une femme. Le réalisateur lui fait découvrir Francis Lai, compositeur de la musique du film. Elle devient alors l’interprète féminine de cette bande originale mythique, aux côtés de Pierre Barouh.
Ce fameux « Chabadabada », devenu tube international, propulse la chanteuse sur la scène mondiale. La bande originale devient même le premier album français certifié disque d’or aux États-Unis, avec des ventes dépassant le million de dollars.
Une artiste aux mille visages depuis l’enfance
Née le 9 octobre 1936 à Neuilly-sur-Seine, Nicole Croisille grandit dans une famille où l’art résonne déjà. Son père dirige une agence de tourisme, sa mère est pianiste. Très tôt attirée par la scène, elle devient danseuse à l’Opéra de Paris dès huit ans.
Mais son père s’oppose à ce qu’elle devienne artiste professionnelle et lui interdit de passer le concours des petits rats. Déçue, elle suit des cours de dactylographie tout en gardant secrètement ses rêves de scène.
Le parcours d’une autodidacte passionnée
Durant son adolescence, elle parvient à convaincre sa famille de suivre les classes de la Comédie-Française où elle travaille comme danseuse de ballet. Dans les années 1950, elle découvre l’univers du mime avec Marcel Marceau et part en tournée en Amérique du Sud puis aux États-Unis.
C’est là-bas qu’elle découvre le jazz dans les clubs de Chicago, où les artistes noirs-américains la surnomment affectueusement « Soul Sister ». En 1961, elle fait même la première partie de Jacques Brel à l’Olympia.
Les années dorées de la chanson française
Après le succès d’Un homme et une femme, Nicole Croisille enchaîne les collaborations avec Claude Lelouch sur Vivre pour vivre (1967), Les uns et les autres (1980), Itinéraire d’un enfant gâté (1988) et Il y a des jours et des lunes (1990).
Les années 1970 marquent l’apogée de sa carrière avec des tubes inoubliables. En 1973, elle décroche un hit avec « Parlez-moi de lui (Il ne pense qu’à toi) », suivi de « Une femme avec toi » et « Téléphone-moi » en 1975. Ces chansons d’amour touchent toute une génération avec sa voix chaude et puissante.
Une voix qui traverse les époques
Nicole Croisille présente son premier spectacle en vedette à l’Olympia en 1976 et y retourne deux ans plus tard. Elle élue « plus belle voix de 1975 », incarnant ces chanteuses « à voix » qui contrastent avec la vague yéyé de l’époque.
« Je n’ai chanté que des chansons d’amour et je sais ce que j’ai apporté aux gens »
— Nicole Croisille, Paris Match, 2017
En 1985, elle signe son dernier grand succès populaire avec « Le Blues du businessman », adapté de Starmania pour le film Itinéraire d’un enfant gâté.
L’exploration de tous les genres musicaux
Passionnée de jazz et de musiques noires-américaines, Nicole Croisille s’installe temporairement au Québec dans les années 1980. Elle enregistre plusieurs albums explorant différents univers : « Jazzville » (1987), « Black et Blanche » (1991), « Bossa d’hiver » (2008).
En 2006, elle rend hommage à son ami Claude Nougaro avec l’album « Chante Nougaro, le jazz et moi », suivi d’une tournée avec un trio de musiciens.
Le retour triomphal au théâtre
Sur la fin de sa carrière, cette infatigable bosseuse retourne à ses premières amours : les planches. Elle brille dans les comédies musicales Follies (2013), Cabaret (2014), Irma la Douce (2015), L’Opéra de Quat’Sous (2016).
En 2019, à 83 ans, elle donne encore la réplique à Michel Sardou dans N’écoutez pas, Mesdames ! de Sacha Guitry. « Je m’amuse comme une petite folle ! À mon âge, je n’aime que les gageures ! » confie-t-elle alors à l’AFP.
Une femme libre et indépendante
Célibataire convaincue, sans mari ni enfant, Nicole Croisille a toujours revendiqué sa liberté. Elle expliquait en 2017 à Paris Match : « Je n’ai chanté que des chansons d’amour et je sais ce que j’ai apporté aux gens. »
Cette femme moderne et indépendante a construit sa vie comme sa carrière : avec audace et passion. Elle reste marraine du Centre des arts vivants, école de comédie musicale, jusqu’à sa mort.
Une reconnaissance officielle tardive mais méritée
En 2010, Nicole Croisille est faite Chevalier de la Légion d’honneur par Frédéric Mitterrand. En 2022, elle reçoit la distinction de Commandeur des Arts et des Lettres, couronnant ainsi une carrière de plus de six décennies.
Ces récompenses officielles reconnaissent enfin l’immense contribution de cette artiste complète qui a marqué plusieurs générations.
L’héritage d’une voix inoubliable
Au cinéma, Nicole Croisille laisse sa trace dans Les Uns et les autres, Les Misérables de Claude Lelouch, La Cage dorée de Ruben Alves (2013). À la télévision, elle marque les esprits dans la série Dolmen (2005) où elle incarne la matriarche de la famille Le Bihan.
Pour Disney, elle prête sa voix à Nora dans Peter et Elliott le Dragon (1977), chantant huit fois dans ce film d’animation mythique.
Les derniers projets d’une éternelle passionnée
Jusqu’en 2023, Nicole Croisille continue de se produire sur scène au Théâtre de Paris. L’année dernière, elle découvre avec bonheur l’arrivée de ses enregistrements sur les plateformes de streaming. « C’est génial parce que je sais que cette nouvelle génération n’achète pas de disques et qu’ils peuvent cliquer pour un titre », explique-t-elle sur RTL.
Sur Spotify, ses chansons cumulent aujourd’hui près de 170 000 écoutes mensuelles, preuve que sa voix continue de toucher de nouveaux auditeurs.
Un symbole qui perdure
Ironiquement, Nicole Croisille s’éteint quelques jours après la fin du Festival de Cannes 2025, dont l’affiche mettait à l’honneur Un homme et une femme pour sa 78e édition. Ce film, Palme d’Or en 1966 et Oscar du meilleur film étranger en 1967, reste indissociable de sa voix.
Avec la disparition de Nicole Croisille après celle d’Anouk Aimée, Jean-Louis Trintignant, Francis Lai et Pierre Barouh, c’est toute une époque du cinéma français qui s’éloigne. Mais ce « Chabadabada » continuera de résonner, portant en lui la magie d’une voix unique qui a su transformer chaque note en émotion pure.
Nicole Croisille (1936-2025) laisse derrière elle une discographie d’une vingtaine d’albums studio et l’héritage d’une voix qui a marqué l’histoire de la chanson française.