L’Institut Lumière annonce la disparition de Bernard Chardère, qui fut le co-créateur et le premier directeur de l’institution de la rue du Premier-Film.
Né en 1930, originaire du Bugey, dans le département de l’Ain, d’où un esprit paysan qui ne le quittera jamais, Bernard Chardère était une figure de la cinéphilie française et de la vie culturelle lyonnaise. En 1952, il a créé, avec quelques amis du Lycée du Parc à Lyon, la revue Positif, qui deviendra immédiatement l’une des revues de cinéma les plus importantes avec Les Cahiers du Cinéma, née un an plus tôt, défendant contre vents et marées Luis Buñuel et Jean Vigo, le surréalisme sur les écrans et l’idée que le cinéma ne devait jamais cesser d’être politique.
Au milieu des années cinquante, refusant de « monter à Paris », Bernard Chardère développera entre Rhône et Saône un travail d’éditeur, de producteur de courts métrages, de créateur de ciné-clubs, d’écrivain, de journaliste et de critique. Il était également, avec l’avocat Paul Bouchet, l’un des animateurs des rencontres culturelles du Château de Goutelas et fut aussi à l’origine de la revue Jeune Cinéma, de la fédération Jean Vigo, à laquelle il restera toujours fidèle.
En 1978, tout s’accélère : il devient directeur de la Fondation Nationale de la Photographie, sise à la Villa Lumière, acquise par la Municipalité de Lyon. Il organisera là-bas de nombreuses expositions, remettant sur la carte de la ville et du pays la rue des anciennes usines Lumière, dans le quartier Monplaisir.
De fait, en 1982, la Ville de Lyon, la Région Rhône-Alpes, le Département du Rhône et le Ministère de la Culture font appel à lui et à Bertrand Tavernier pour ouvrir l’Institut Lumière, aux fins de créer, là où le Cinématographe a été inventé, une cinémathèque, un lieu de ressources et une place forte de la cinéphilie française. Avec peu de moyens, en rassemblant ses amis et ses convictions, il lancera une aventure qu’il n’a jamais cessé de considérer avec intérêt et affection. En hommage, le festival Lumière a créé il y a quelques années un Prix Bernard Chardère qui récompense un(e) critique de tempérament. L’un des premiers récipiendaires fut son grand ami Michel Ciment.
Auteur lui-même de quelques courts métrages, dont un sur l’histoire des Canuts de Lyon et, plus tard, d’ouvrages de référence sur les Lumière et l’invention du Cinématographe, Bernard était fortement et intimement lié à Freddy Buache, le fondateur de la Cinémathèque Suisse et à Raymond Borde, fondateur de la Cinémathèque de Toulouse, comme au photographe Rajak Ohanian, au peintre Max Schoendorff et à Roger Planchon qui faisait vivre le TNP en terres lyonnaises puis villeurbannaises. Il a milité toute sa vie pour la décentralisation culturelle, provinciale et régionale, pour l’anarchisme des goûts et le soin à accorder au patrimoine. Il parlait vite, écrivait et savait se mettre à table.
Aux côtés de son épouse Alice, il a dirigé avec éclat l’Institut Lumière de 1982 à 1990, devenant alors conservateur jusqu’aux célébrations du Centenaire Lumière en 1995, non sans avoir, avec Bertrand Tavernier et les tutelles de l’association, adoubé Thierry Frémaux comme son successeur. Il restera proche de l’institution, continuant à assister aux projections et ouvrant avec elle, en 2009, le grand projet du festival Lumière.
Son appartement de la place Gensoul, dans la Presqu’île de Lyon, témoignait du foisonnement artistique dont Bernard Chardère faisait le cœur de sa vie. Ami de Jacques Prévert, de Jean Dasté et de François Truffaut, il était un esprit libre, créatif, internationaliste, dont l’existence toute entière fut dédiée à l’amour du cinéma, de la littérature et de la photographie. Cette existence dit aussi ce que furent les gens de sa génération : des combattants d’une culture dont ils ont pensé sans relâche, et malgré les désillusions, qu’elle avait sa place dans la construction de la société et l’invention du futur. Ce qu’est l’Institut Lumière aujourd’hui lui doit énormément, comme à Alice Chardère, à Mijo et Raymond Chirat, ainsi qu’à Bertrand Tavernier.
Bernard allait avoir 93 ans le 21 septembre 2023. Il s’est éteint paisiblement dans la nuit du 24 au 25 août, dans l’appartement qu’il occupait à Lyon, dans le quartier d’Ainay.