Le Conseil fédéral suisse a transmis vendredi au Parlement un projet révolutionnaire obligeant Google et les géants du web à payer pour l’usage des contenus journalistiques. Une première européenne qui pourrait rapporter 154 millions de francs annuels aux médias suisses.
Le Conseil fédéral suisse a franchi une étape décisive vendredi 20 juin 2025. Il a officiellement transmis au Parlement son projet de modification de la loi sur le droit d’auteur, visant à contraindre les plateformes numériques à rémunérer les médias.
Cette révolution législative cible directement les géants comme Google, Facebook et YouTube. Désormais, ces services devront verser une compensation financière équitable pour chaque utilisation d’extraits d’articles ou de vignettes d’images.
L’approche suisse se distingue radicalement du modèle européen. Contrairement à l’Union européenne qui prévoit un droit d’interdiction, la Suisse opte pour l’accès libre mais payant.
Combien Google devra-t-il verser aux médias suisses ?
Une étude commandée par la société Fehr Advice évalue le montant minimal à 154 millions de francs suisses par an. Cette somme concernerait uniquement Google, sans compter les autres plateformes numériques concernées.
Seuls les services en ligne comptant au moins 10% de la population suisse en utilisateurs annuels seront soumis à cette obligation. Cette mesure épargne les petites plateformes, les blogueurs privés et les organisations à but non lucratif comme Wikipédia.
La répartition des fonds ne dépendra pas du trafic généré. L’objectif est d’éviter la course aux clics et de valoriser le travail journalistique authentique.
MÉCANISME DE REDISTRIBUTION : ProLitteris au centre du dispositif
• Société de gestion collective : ProLitteris redistribuera les sommes perçues • Protection des petits médias : Éviter la concentration chez les grands groupes • Rémunération directe : 50% aux journalistes, 50% aux entreprises de médias • Critères qualitatifs : Valorisation du travail journalistique plutôt que de l’audience • Soutien régional : Aide particulière aux médias de montagne et zones périphériques
Pourquoi la Suisse choisit-elle une approche différente de l’Europe ?
L’Union européenne a adopté en 2019 une directive plus rigide. Les éditeurs peuvent interdire à Google d’utiliser leurs contenus, créant des tensions considérables.
Google a déjà menacé de bloquer certains contenus dans plusieurs pays européens. En France, l’Autorité de la concurrence a infligé 500 millions d’euros d’amende à Google en 2021 pour non-respect des négociations.
La Suisse veut éviter ces démonstrations de force. Son modèle garantit l’accès libre à l’information tout en assurant une rémunération équitable aux créateurs de contenu.
Le contexte international pousse à l’action
Le Canada a déjà obtenu des résultats concrets. Google verse désormais 100 millions de dollars canadiens par an aux médias locaux depuis janvier 2025, suite à l’adoption de la loi C-18.
L’Australie, pionnière en la matière, a également contraint les plateformes à négocier des accords de rémunération avec les médias locaux.
Cette dynamique internationale renforce la légitimité de l’approche suisse. Le pays ne peut plus faire exception sous peine de voir sa propriété intellectuelle moins protégée que chez ses voisins.
CALENDRIER ET ENJEUX : Une révolution en marche
• Juin 2025 : Transmission au Parlement du projet de loi • Septembre 2025 : Fin de la consultation publique prévue • Négociations : ProLitteris représentera les intérêts des médias • Application : Couverture des extraits même très courts • Innovation : Prise en compte de l’intelligence artificielle et des chatbots
Quels défis pour la mise en œuvre ?
Google reste réservé face à cette initiative. Un porte-parole du groupe en Suisse souligne que « la digitalisation offre aux médias de nombreuses nouvelles occasions » et que Google « permet d’atteindre et de générer des revenus pour les éditeurs ».
L’Alliance « Pour un droit voisin » salue néanmoins cette avancée. Elle regroupe des associations médiatiques et des représentants politiques de tous bords, incluant la SSR et les associations des radios privées.
La législation suisse devra également intégrer les nouveaux développements technologiques. Les chatbots comme ChatGPT puisent massivement dans les contenus journalistiques pour leurs réponses, soulevant de nouveaux enjeux de propriété intellectuelle.
Cette révolution législative marque un tournant pour l’écosystème médiatique suisse. Elle offre une alternative pragmatique aux tensions européennes tout en garantissant une rémunération équitable aux créateurs de contenu dans l’ère numérique.