C’est un caprice immobilier estimé à 70 millions d’euros qui tourne à l’affrontement juridique. Sur les rives huppées du lac de Zurich, un homme d’affaires vient d’acquérir une presqu’île de 10 000 m² et exige le départ immédiat d’une dizaine de locataires historiques. Les pelleteuses sont déjà entrées en action.
L’ultime terrain de jeu
Sur la « Goldküste » zurichoise, où le mètre carré se négocie à prix d’or, la transaction a fait l’effet d’une bombe. En septembre dernier, un acquéreur fortuné s’est offert ce que l’on qualifie déjà de « plus belle parcelle du lac ».
Il ne s’agit pas d’une simple résidence secondaire, mais d’un véritable royaume privé de près d’un hectare. L’objectif du nouveau propriétaire est limpide : raser l’existant pour ériger deux villas de luxe en bois, destinées à son usage personnel et familial.
Pour sécuriser ce joyau, le millionnaire n’a pas hésité à débourser une somme avoisinant les 70 millions d’euros. Un montant qui témoigne de la frénésie immobilière qui saisit cette région suisse, devenue le refuge des ultra-riches.
Un réveil au son des bulldozers
Pour la dizaine de locataires installés sur cette bande de terre, le rêve bucolique a viré au cauchemar administratif. Par un simple courrier reçu fin octobre, ils ont appris la résiliation sèche de leur bail.
L’ultimatum est d’une violence rare : ils ont un mois pour vider les lieux. Mais le nouveau maître des lieux n’a pas attendu l’expiration de ce délai pour marquer son territoire.
Selon les informations rapportées par le Tages-Anzeiger, des engins de chantier ont investi la presqu’île quelques jours seulement après l’annonce. Dans leur sillage, des arbres ont été déracinés et certains bungalows, servant pourtant de résidence principale, ont subi des dommages structurels.
La résistance s’organise
Face à ce qu’ils considèrent comme une méthode de « cow-boy », les habitants refusent de plier bagage. Plus de la moitié d’entre eux a immédiatement saisi un avocat pour contester la validité du congé.
Certains résidents occupent ces maisonnettes depuis plusieurs décennies, y ayant construit toute leur vie. Pour eux, l’argument de la « propriété privée » ne justifie pas une expulsion aussi brutale, sans solution de relogement viable dans un marché saturé.
La bataille juridique s’annonce féroce, opposant le droit au logement à la puissance financière d’un seul homme. Les locataires espèrent que la justice cantonale suspendra les travaux le temps d’examiner le dossier.
« Des aménagements sans autorisation »
Dans le camp du millionnaire, la lecture de la situation est radicalement différente. Interrogé par la presse alémanique, l’architecte et proche de l’acquéreur balaie les états d’âme des résidents.
Il affirme que cette parcelle était « en vente depuis près de 30 ans », un fait que les locataires ne pouvaient ignorer. Plus incisif encore, il remet en cause la légalité même de leur présence sous cette forme.
Selon lui, les habitants auraient effectué des « aménagements et transformations » sur les bungalows sans aucune autorisation officielle. Cette ligne de défense vise à délégitimer le statut des résidents, les présentant comme des occupants abusifs d’une zone naturelle.
Le projet : « Reconstruire en bois »
Le millionnaire, quant à lui, assume pleinement sa stratégie de la terre brûlée. Son projet architectural prévoit la destruction totale des dix logements existants.
À la place de ce qu’il considère comme des constructions disparates, il entend bâtir deux villas écologiques en bois. Une vision esthétique qui sert d’argument moral : remplacer une occupation dense par un habitat plus « exclusif » et intégré.
Cette affaire cristallise les tensions grandissantes en Suisse autour de l’accès aux rives. Entre privatisation rampante et gentrification extrême, le lac de Zurich devient le théâtre d’une lutte des classes à ciel ouvert.
