Du 18 avril au 2 mai 2026, Deauville célèbre le 30e anniversaire de son Festival de Pâques. Fondé sur un principe unique de cooptation entre les générations, cet événement incontournable de la musique de chambre réunira à la salle Élie de Brignac sept générations de virtuoses, de Renaud Capuçon aux nouveaux prodiges, pour trois week-ends d’une intensité rare.
C’est une atmosphère qu’on ne trouve nulle part ailleurs.
Imaginez une salle de vente aux enchères de chevaux, la mythique salle Élie de Brignac, transformée en temple de la musique. Là où s’échangent habituellement les pur-sang à prix d’or, ce sont les « pur-sang de la double croche », selon la formule consacrée, qui prennent le pouvoir chaque printemps.
Depuis 1997, ce festival détonne dans le paysage culturel français.
Une utopie musicale devenue institution
Loin des programmations standardisées qui tournent en boucle sur les scènes européennes, Deauville cultive son propre écosystème.
L’idée du fondateur, Yves Petit de Voize, était aussi simple que révolutionnaire : briser la solitude du soliste et abolir les hiérarchies. Ici, les maîtres ne donnent pas de leçons ; ils jouent d’égal à égal avec leurs cadets. Ce principe de cooptation amicale permet aux jeunes talents, repérés par leurs aînés, d’intégrer une véritable famille artistique.
En 30 ans, le festival est devenu l’incubateur le plus efficace de la musique classique en France.
Renaud Capuçon, Bertrand Chamayou ou le Quatuor Ébène y ont fait leurs premières armes. Pour cette 30e édition, l’histoire se regarde dans le rétroviseur tout en accélérant vers l’avenir, avec un programme qui balaye trois siècles de musique, du baroque italien aux audaces du XXe siècle.
L’ouverture : entre faste baroque et âme russe
Le coup d’envoi sera donné le samedi 18 avril à 20h.
C’est Julien Chauvin, figure tutélaire du violon baroque et fidèle du festival, qui ouvrira le bal avec son ensemble Le Concert de la Loge. Le programme est une démonstration de style : le Concerto brandebourgeois n°5 de Jean-Sébastien Bach, monument de virtuosité pour le clavecin (ici tenu par Louise Acabo), dialoguera avec le poignant Stabat Mater de Pergolèse.
Dès le lendemain, le festival change radicalement de couleur sonore.
Le dimanche 19 avril, la salle Élie de Brignac vibrera aux sons de l’âme russe. Le sextuor Souvenir de Florence de Tchaïkovski, œuvre d’une densité orchestrale inouïe écrite pour six instruments à cordes, sera le point d’orgue d’un concert réunissant notamment le violoniste Vassily Chmykov et le violoncelliste Maxime Quennesson.
Ce grand écart stylistique, passant du baroque ciselé au romantisme échevelé en moins de 24 heures, est la signature même de Deauville.
Le souffle des vents et la géométrie des cordes
Le deuxième week-end marque souvent le cœur battant du festival, là où la densité de la programmation atteint son paroxysme.
Le vendredi 24 avril mettra en lumière des œuvres rares de Schubert et Ravel, dont une version pour piano à quatre mains de Ma mère l’Oye interprétée par Guillaume Bellom et Ismaël Margain. Mais c’est le lendemain que l’originalité de Deauville s’exprime pleinement.
L’Ensemble Ouranos, quintette à vent parmi les plus demandés de sa génération, s’emparera de la scène le 25 avril.
Il est rare d’entendre dans un même concert la Sérénade op.44 de Dvořák et des œuvres de Janáček. Ce programme met à l’honneur les timbres boisés et chaleureux des vents, souvent parents pauvres des festivals de chambre trop focalisés sur le piano et le violon.
Le dimanche 26 avril promet d’être l’un des sommets techniques de cette édition.
Réunir deux quatuors à cordes constitués – le Quatuor Hermès et le Quatuor Hanson – pour jouer l’Octuor de Mendelssohn est un défi de haute voltige. Cette œuvre, écrite par un compositeur de 16 ans, demande une cohésion absolue. Voir ces huit musiciens fusionner en un seul organisme sonore est une expérience physique pour le spectateur.
Ce concert inclura également le Trio n°2 de Chostakovitch, une œuvre tragique et grotesque, témoignage bouleversant de la guerre, portée par le piano d’Adam Laloum.
Vienne à l’honneur : la symphonie de chambre
Le dernier week-end s’ouvre sur une curiosité musicale qui ravira les mélomanes exigeants.
Le vendredi 1er mai, le chef Gabriel Durliat dirigera l’Atelier de Musique dans une transcription de chambre de la Symphonie n°4 de Gustav Mahler. Réduire l’immense appareil orchestral mahlerien à un ensemble de chambre est un tour de force réalisé par Erwin Stein en 1921.
Pourquoi écouter cette version ?
Parce qu’elle agit comme une radiographie de l’œuvre. Dépouillée de sa masse sonore, la symphonie révèle ses lignes de force, ses contre-chants et sa modernité, le tout sublimé par la voix de la soprano Chen Reiss. C’est une écoute active, analytique et émotionnelle, parfaitement adaptée à l’acoustique précise de la salle de vente.
Ce concert sera d’ailleurs enregistré pour France Musique, soulignant le rayonnement national de l’événement.
Un final historique : le retour des fondateurs
Pour clore ces 30 ans, le festival ne pouvait rêver plus belle affiche.
Le samedi 2 mai, la scène sera occupée par trois géants qui ont littéralement grandi avec le festival : Renaud Capuçon (violon), Edgar Moreau (violoncelle) et Bertrand Chamayou (piano).
Ce n’est pas un simple concert de clôture, c’est une réunion de famille.
Le programme est un retour aux sources du classicisme et du romantisme : la Sonate n°1 de Gabriel Fauré et le Trio n°1 de Mendelssohn. Voir ces solistes, qui parcourent aujourd’hui les plus grandes salles du monde (Philharmonie de Berlin, Carnegie Hall), revenir à Deauville pour faire de la musique de chambre dans l’intimité, témoigne de leur fidélité indéfectible au projet d’Yves Petit de Voize.
Ils incarnent la réussite de ce pari fou lancé en 1997.
Au-delà des notes, cette 30e édition du Festival de Pâques de Deauville raconte une histoire humaine. Celle d’une transmission réussie, où la musique circule librement d’une génération à l’autre, assurant que l’excellence de l’école française de musique a encore de beaux jours devant elle.
