L’histoire bascule en quelques jours. Jeudi 12 juin, TikTok a définitivement supprimé le compte d’Alex Hitchens et ses 650 000 abonnés, deux jours seulement après que l’influenceur ait brutalement quitté son audition parlementaire. Une chute spectaculaire qui illustre parfaitement les enjeux actuels autour de la régulation des réseaux sociaux et de la protection des mineurs.
Les 5 informations clés à retenir :
- TikTok supprime définitivement le compte d’Alex Hitchens (650 000 abonnés) pour « discours haineux et comportements haineux »
- L’influenceur avait quitté brusquement son audition parlementaire le 10 juin après 20 minutes d’échanges tendus
- Plusieurs comptes usurpant son identité également bannis, dont 7 qu’il gérait lui-même selon ses déclarations
- Il reste présent sur YouTube (370 000 abonnés) et Instagram (164 000 abonnés) malgré cette sanction
- La commission parlementaire pourrait porter l’affaire devant la justice pour refus de coopération
Le clash qui a tout précipité
Tout s’est joué en vingt minutes chrono. Le mardi 10 juin, Isac Mayembo, alias Alex Hitchens, était convoqué par visioconférence devant la commission d’enquête parlementaire sur les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs. L’homme de 26 ans, qui se présente comme un « coach en séduction », était attendu au tournant pour ses contenus masculinistes controversés.
Dès le début de l’audition, l’ambiance était électrique. Arthur Delaporte, le député socialiste du Calvados qui préside cette commission, a directement questionné l’influenceur sur ses propos les plus polémiques : « Je le dis souvent à une femme : après 22 heures qu’est-ce qu’elle fout dehors » ou encore « Vous prenez son téléphone, si elle refuse c’est une pute, fin de relation ».
La tension est montée crescendo. Alex Hitchens a accusé les députés de vouloir « isoler ses propos » et de les déformer. « Vous avez pris 10 secondes de mon propos, vous l’avez isolé et vous venez de me le balancer à la gueule », a-t-il lancé, visiblement agacé par les questions insistantes.
Comment on en est arrivé là ?
Pour bien comprendre l’ampleur de cette affaire, il faut remonter quelques mois en arrière. La commission d’enquête sur TikTok a été créée le 13 mars 2025 suite aux plaintes de plusieurs familles contre la plateforme. Le collectif Algos Victima accuse TikTok de « provocation au suicide » après la mort de deux adolescentes de 15 ans qui consultaient des contenus liés à l’autodestruction.
Cette commission, présidée par Arthur Delaporte avec Laure Miller comme rapporteure, a pour mission d’étudier les dispositifs de captation de l’attention utilisés par TikTok et leurs effets sur la santé mentale des jeunes. Selon leurs recherches, les utilisateurs s’intéressant aux questions de santé mentale peuvent se voir proposer douze fois plus de vidéos traitant du suicide que les profils standards.
Dans ce contexte explosif, l’audition de cinq influenceurs controversés était particulièrement attendue. Outre Alex Hitchens, les députés ont également entendu AD Laurent (créateur de contenu pornographique), Nasdas (connu pour ses distributions d’argent), et le couple Julien et Manon Tanti.
Le profil d’Alex Hitchens sous les projecteurs
Qui est vraiment cet homme qui fait tant parler de lui ? Isac Mayembo est né le 4 janvier 1999 à Évry, d’origine congolaise. Avant de devenir influenceur, il était joueur de basket-ball professionnel, ayant notamment évolué aux Sharks d’Antibes et fait partie de l’équipe de France U20 en 2019.
Son pseudonyme « Alex Hitchens » fait référence au personnage joué par Will Smith dans le film « Hitch, expert en séduction ». Sur les réseaux sociaux, il s’est construit une image de « coach en séduction » vendant des formations en ligne, attirant principalement un public jeune masculin avec ses théories sur les relations hommes-femmes.
Ses contenus, souvent qualifiés de masculinistes et misogynes, ont déjà fait l’objet de plusieurs polémiques. En novembre 2023, il avait été accusé par des monteurs vidéo et graphistes de ne pas les avoir payés. Malgré ces controverses, son audience n’avait cessé de croître, particulièrement sur TikTok où il totalisait plus de 650 000 abonnés.
TikTok frappe fort et vise large
La réaction de TikTok n’a pas tardé. Jeudi 12 juin, soit 48 heures après l’incident parlementaire, la page TikTok de l’influenceur est devenue introuvable. « La décision de supprimer ce compte a été prise conformément à nos règles communautaires (discours haineux et comportements haineux), que nous appliquons strictement à tous les utilisateurs, sans exception », confirme ce jeudi un porte-parole du réseau social à l’AFP.
Mais TikTok, détenu par le groupe chinois ByteDance, est allé plus loin. La plateforme a également supprimé « plusieurs comptes usurpant l’identité d’Alex Hitchens », alors que l’influenceur avait affirmé mardi gérer lui-même 7 comptes sur les 50 qui reprenaient ses contenus. Une stratégie de contournement désormais impossible.
Cette décision s’inscrit dans la politique renforcée de TikTok contre les discours haineux. Les règles communautaires de la plateforme interdisent explicitement « les discours haineux et les contenus déshumanisant incitant à la violence ou à la haine contre les individus » sur la base de critères comme le genre ou l’orientation sexuelle.
Les chiffres qui parlent
L’impact de cette suppression est considérable. Alex Hitchens perd d’un coup ses 650 000 abonnés TikTok, soit sa principale audience. Pour mesurer l’ampleur, rappelons que TikTok compte 70% d’utilisateurs de moins de 24 ans en France, et que 40% des 16-25 ans utilisent quotidiennement l’application.
Il lui reste néanmoins ses autres comptes : 370 000 abonnés sur YouTube et 164 000 sur Instagram. Mais TikTok était devenu sa plateforme de prédilection pour toucher les plus jeunes, cœur de cible de ses « formations en séduction ».
Du côté de la commission parlementaire, les enjeux sont tout aussi importants. La plateforme est accusée de provoquer « troubles du sommeil, de l’attention, sédentarité excessive, risques de dépression, d’anxiété, allant jusqu’à développer chez certains adolescents des pensées suicidaires ». À 11 ans, la moitié des jeunes disent avoir un compte TikTok, soit deux ans avant l’âge légal.
Pourquoi c’est important maintenant
Cette affaire cristallise les tensions actuelles autour de la régulation des réseaux sociaux. D’un côté, des parlementaires déterminés à protéger les mineurs face à des contenus potentiellement dangereux. De l’autre, des influenceurs qui revendiquent leur liberté d’expression et dénoncent parfois une forme de censure.
L’incident Alex Hitchens arrive aussi dans un contexte politique sensible. Mercredi 11 juin, Emmanuel Macron a annoncé son intention de durcir les conditions d’accès aux réseaux sociaux pour les mineurs, évoquant une interdiction avant 15 ans (contre 13 actuellement). Une proposition qui fait débat sur son applicabilité technique.
Arthur Delaporte a d’ailleurs souligné sur franceinfo que « TikTok est un catalyseur de tristesse » : « Quand on est triste, on va se retrouver de plus en plus exposé à des contenus qui rendent tristes, qui peuvent aller jusqu’à l’incitation au suicide ». L’algorithme de la plateforme amplifie ces phénomènes en proposant toujours plus de contenus similaires.
Les questions que vous vous posez
Que risque Alex Hitchens pour avoir quitté l’audition ? Le refus de participer à une commission d’enquête parlementaire est passible de trois ans de prison et 7 500 euros d’amende. Arthur Delaporte a annoncé qu’il comptait reconvoquer l’influenceur et pourrait porter l’affaire devant la justice en cas de nouveau refus.
Peut-il contester la suppression de son compte TikTok ? TikTok dispose d’une procédure de recours, mais les cas de suppression pour « discours haineux » sont rarement annulés. L’influenceur peut tenter de prouver que ses contenus ne violaient pas les règles, mais ses déclarations publiques rendent cette défense difficile.
Comment les autres influenceurs ont-ils réagi ? Les autres auditionnés ont adopté des stratégies différentes. AD Laurent a reconnu partager des liens vers du contenu pornographique mais a rejeté la responsabilité sur « le contrôle parental et TikTok ». Nasdas a été le seul à exprimer des regrets vis-à-vis de son jeune public.
Ce qu’on peut attendre maintenant
Le rapport final de la commission est attendu avant le 12 septembre 2025. Il pourrait recommander des sanctions contre TikTok ou proposer un encadrement plus strict des influenceurs. L’incident Alex Hitchens renforce paradoxalement l’urgence de ces travaux et illustre la difficulté à réguler ces nouveaux acteurs.
Cette affaire s’inscrit dans un mouvement global de régulation des plateformes. Aux États-Unis, TikTok a failli être interdite en janvier 2025. En Europe, le Digital Services Act impose déjà de nouvelles obligations aux réseaux sociaux. La France pourrait-elle aller plus loin ?
Une chose est certaine : l’incident du 10 juin 2025 marquera l’histoire de la régulation des réseaux sociaux en France. Il montre aussi les limites de l’approche parlementaire face à des acteurs qui se jouent parfois des frontières institutionnelles.
Pour Arthur Delaporte, devenu malgré lui une star des réseaux avec ses « Laissez-moi finir ! », l’enjeu reste le même : « Si TikTok et l’ensemble des plateformes ne font pas leur travail, à un moment, il faut les couper. Les propos sexistes, violents ou discriminatoires ne peuvent pas être banalisés sous prétexte de liberté d’expression. »
L’avenir dira si cette fermeté parlementaire et cette réaction rapide de TikTok marquent un tournant dans la protection des mineurs sur les réseaux sociaux, ou si d’autres Alex Hitchens trouveront de nouveaux moyens de contourner les règles.
