Ce jeudi 11 décembre à 21h10 sur France 2, Élise Lucet nous plonge dans la folle spéculation du marché des fossiles. Des terres arides du Montana aux salles de ventes parisiennes, enquête sur une fièvre acheteuse où le T-Rex remplace le Picasso dans les salons des ultra-riches.
Une fièvre à 23 millions d’euros
Adjugé, vendu. Le marteau tombe et les prix s’envolent vers des sommets indécents.
C’est une réalité brutale pour le monde scientifique : 5 millions d’euros pour un Tricératops, jusqu’à 23 millions pour un Tyrannosaure. Ces créatures, témoins d’une extinction vieille de 66 millions d’années, ne sont plus seulement des objets d’étude, mais les nouveaux trophées ultimes du capitalisme.
Autrefois réservés aux poussiéreuses galeries des muséums, les squelettes complets s’arrachent désormais comme des œuvres d’art contemporain.
Les enchères deviennent le théâtre d’une guerre financière où les instituts de recherche ne peuvent plus lutter. Face à des fonds d’investissement ou des milliardaires anonymes, la science n’a tout simplement plus les moyens de s’aligner pour préserver ce patrimoine commun.
Montana : la ruée vers l’os
Aux États-Unis, cette flambée des prix a ressuscité une véritable ruée vers l’or, version Jurassique.
Dans les Badlands du Montana, la législation est formelle et implacable : ce qui est trouvé sur un terrain privé appartient au propriétaire du sol. Une aubaine pour les « chasseurs de fossiles » commerciaux qui arpentent ces déserts, non pour la gloire de la science, mais pour le profit immédiat.
Il suffit de se pencher au bon endroit pour devenir millionnaire.
Ces nouveaux cow-boys de la paléontologie exhument des spécimens à la chaîne, parfois au détriment de la rigueur scientifique. Une fois sorti de terre, l’ossement n’est plus une donnée biologique, c’est une marchandise prête à être exportée vers les demeures de luxe de Genève ou de New York.
L’exception française en Charente
Loin de ce vacarme financier, la France tente de résister avec un modèle radicalement opposé.
À Angeac-Charente, sur l’un des plus grands gisements d’Europe, la démarche reste purement bénévole et académique. Ici, pas de ventes aux enchères ni de spéculation : les fossiles sont extraits avec une minutie chirurgicale pour comprendre notre passé, pas pour décorer un hall d’entrée.
C’est le choc de deux mondes.
D’un côté, la patience infinie des chercheurs français qui analysent chaque fragment dans la boue argileuse. De l’autre, la frénésie du marché américain qui valorise l’esthétique et la taille, quitte à « embellir » la réalité pour faire monter les enchères.
Science ou décoration de luxe ?
Cette marchandisation pose une question éthique vertigineuse.
Si les plus beaux spécimens finissent dans des salons privés, ils deviennent inaccessibles aux chercheurs et au grand public. Une perte sèche pour la connaissance universelle, d’autant que l’authenticité de ces « objets de collection » est parfois douteuse, certains squelettes étant reconstitués à plus de 50 % avec de la résine.
Le dinosaure est-il encore un trésor scientifique ou juste un meuble hors de prix ?
L’enquête d’Anaïs Bard, Juliette Jonas et Gaëlle Pidoux force à regarder cette réalité en face : nous sommes peut-être en train de privatiser l’histoire de la vie sur Terre.
